MICHEL SERRES : pensées marquantes

Michel Serres, né le à Agen et mort le , est un philosophe et historien des sciences.

D’origine gasconne, il est le fils de Jean Serres, batelier sur la Garonne.  Il est reçu en 1949 à l’École navale, à l’École normale supérieure en 1952. Il est agrégé de philosophie en 1955. Michel Serres réalise une carrière universitaire en France et aux États-Unis à l’invitation de René Girard (Baltimore, Stanford). Il est élu le à l’Académie française.

Son œuvre se concentre sur la problématique morale des progrès de la science et de ses effets. Sa philosophie s’appuie sur le principe d’incertitude.  Il a idée de poser le principe d’un nouveau droit, non exclusivement réservé à l’espèce humaine. La nature, affirmait-il, doit devenir un sujet de droit. Profondément optimiste Michel Serres tente d’établir des liens, de lancer des ponts et d’entremêler savoirs scientifiques et littéraires pour réconcilier ces deux cultures qui pour lui n’en font qu’une. Le , en séance solennelle à l’Académie sur le thème « Les nouveaux défis de l’éducation », Michel Serres prononce le discours « Petite Poucette », décrivant une génération qui connaît des mutations profondes, des transformations hominescentes rarissimes dans l’histoire.

Quelques unes de ses pensées marquantes :

« J’ai désiré transmettre à mes étudiants et je voulais professer en public, avant de mourir, cette humilité totale et sans aucune condition que j’ai tenté de pratiquer toute ma vie. »
Aime l’autre qui engendre en toi, une troisième personne, l’esprit.
Apprendre lance l’errance.
Apprendre: devenir gros des autres et de soi. Engendrement et métissage.

Au rugby (…) tout le monde regarde l’équipe, personne ne regarde le ballon. Or l’important, c’est le ballon, c’est lui qui fait l’équipe.

Aujourd’hui, on prend un parapluie parce que la télé a dit qu’il allait pleuvoir. Autrefois, on aurait regardé le ciel.
Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître.
Beaucoup de nos institutions se trouvent comme ces étoiles dont nous recevons la lumière et dont les astrophysiciens nous disent qu’elles sont mortes depuis bien longtemps.
C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute.
Chaque fois qu’il y a un changement de support, il y a un Socrate qui engueule un Platon.
Comment acquérir enfin tolérance et non-violence, sinon en se plaçant du point de vue de l’autre, savoir de l’autre côté ?
Dans le quart-monde se posent davantage les problèmes du savoir que les problèmes économiques. C’est pourquoi il faut avoir une activité de dispensateur, de message, d’ange.
Dans un article paru en 1972 et intitulé « La thanatocratie », j’écris qu’il y a désormais trois morts : la mort individuelle qui touche chacun, la mort collective qui a touché la civilisation gréco-latine ou d’autres civilisations dans l’histoire, et enfin la mort possible de l’espèce humaine.
Écrire est le dernier des métiers manuels…
Être gourmand c’est trouver l’exceptionnel dans le quotidien.
Il faut bien un jour ouvrir la porte d’ombre, s’avancer vers les premiers degrés, chercher une lumière pour se reconnaître dans des ténèbres si anciennes que la chair humiliée en a déjà l’habitude.
Il y a de l’inertie dans l’éléphant, il y a de l’inertie dans les bateaux. Il en va de même pour les sociétés: elles ont d’énormes inerties.
Intuitionisme? Qu’est-ce à dire? D’abord, qu’il ne peut y avoir d’autre critère et d’autre fondement de la vérité que l’évidence, que tout autre se ramène à lui.
J’ai hérité de mon père la conviction que le pouvoir corrompt la pensée.
Je crois que philosopher, c’est anticiper.
Je vois nos institutions luire d’un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprennent qu’elles sont mortes depuis longtemps déjà.
Je voudrais avoir dix-huit ans, l’âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, non, puisque tout est à faire.
L’esprit de sérieux, vous le savez, c’est le commencement de la sottise ; à l’inverse, le rire est le commencement de l’esprit.
L’homme est un pou pour l’homme.
L’intelligence, c’est l’imprévisible.
L’invention est le seul acte intellectuel vrai, la seule action d’intelligence. Le reste ? Copie, tricherie, reproduction, paresse, convention, bataille, sommeil. Seule éveille la découverte. L’invention seule prouve qu’on pense vraiment la chose qu’on pense, quelle que soit la chose. Je pense donc j’invente, j’invente donc je pense : seule preuve qu’un savant travaille ou qu’un écrivain écrit.
L’abandon de l’éducation par les parents, la famille, le quartier, la ville et toute autre communauté rejaillit, aujourd’hui, sur l’école, où tout, désormais, doit se faire, où tout donc, par saturation, devient irréalisable.
La culture de quelqu’un se définit par ses lacunes.
La culture ne protège pas de la barbarie.
La main n’est plus la main quand elle a saisi le marteau, elle vole, transparente, entre lui et le clou, elle disparaît et se fond, la mienne a fui depuis longtemps dans l’écriture. La main et la pensée s’évanouissent dans leurs déterminations.
La route de la soie a été la route de la science.
La science, c’est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c’est ce que le fils enseigne à son papa.
La seule vraie désobéissance est celle qui permet d’inventer.
La technique est une formidable économie de temps dans notre combat « darwinien » contre la mort.
La vie profonde compose une partition.
Le 21e siècle sera un siècle spirituel ou pas.
Le corps est un miroir. Que peut le corps ? Prenez le gardien de but d’une équipe de football qui attend le tir d’un penalty ou bien encore un tennisman qui monte au filet pour jouer à la volée. Regardez comment il se place. La balle peut venir d’en haut, d’en bas, à droite, à gauche, etc. Il est donc obligé de mettre son corps dans une position virtuelle, presque abstraite. Il est dans un état de corps possible. Il est dans une position que j’appellerai  » blanche « . Il est à la fois toutes les couleurs et l’absence de couleur. On ne peut pas avoir de meilleure image de ce que peut le corps.
Le grand philosophe de demain sera celui qui repensera tout, du cognitif au politique, car tout est nouveau.
Le monde d’aujourd’hui hurle de douleur parce qu’il commence son travail d’enfantement.Ou apparaîtra un nouvel homme, citoyen du monde, ou l’humanité chancellera. Nous devons décider la paix entre nous pour sauvegarder le monde et la paix avec le monde afin de nous sauver.
Le monde tend vers l’angélisme et il n’a jamais été plus satanique.
Le monopole du savoir, qui était détenu par l’école et par l’université, a été capturé par la télévision, la radio, les médias au sens large. C’est la cause première de la crise de l’enseignement.
Le progrès humain passe par l’altruisme.
Le savoir rend heureux, le savoir rend libre.
Le seul acte intellectuel authentique, c’est l’invention.
Le vieux proverbe militaire dit vrai: nul ne va jamais plus vite que la musique. Et Woodstock précède Facebook.
Le virtuel est l’essence même de l’humain, c’est cela être un homme. Les animaux ne sont pas virtuels. La littérature, plus elle est folle, imaginaire, potentielle, plus elle est proche de l’humain. Elle dépasse de très loin les sciences humaines, car celles-ci ne disent que le fait quand les hommes sont des êtres de fiction.
Les gens préfèrent la pauvreté pourvu qu’ils soient au milieu de plus indigents qu’eux, à une richesse qui les placerait au milieu de gens prospères… La situation réelle les tente moins que la relation sociale… tout le mal du monde vient de la comparaison.
Métissage, voilà mon idéal de culture. Blanc et noir, sciences et lettres, monothéisme et polythéisme, sans haine réciproque, pour une pacification que je souhaite et pratique.
Mais il ne s’agit pas d’un grand récit comme autrefois, à l’image de la Bible par exemple, qui évoque un dessein intelligent, intentionnel, un plan divin. Le grand récit, tel que les savants le proposent aujourd’hui, s’écrit au futur antérieur.
Notre sénilité endormie se trouve à l’aise dans l’absurde.
Nous avons construit un monde où l’intelligence est la premières des facultés, où la science et la technique nous tirent en avant et nous chutons, en produisant plus de misères, de famines, de maladies.
Nous dépendons de ce qui dépend de nous.
Nous ne voulons plus coaguler nos assemblées avec du sang. Le virtuel, au moins, évite ce charnel-là.
Nous pouvous et nous devons faire de la Terre un sujet de droit.
Nous sommes si nombreux à nous contenter d’avancer un pied devant l’autre, sans même nous étonner de ce petit miracle matinal.
Nous vivons aujourd’hui une crise aiguë des langues. Jadis tenues pour trésors, elles tombent en mésestime, chacun saccage la sienne, comme on a fait de la terre.
Par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes par GPS, en tous lieux par la Toile, à tout le savoir : ils hantent donc un espace topologique de voisinages, alors que nous vivions dans un espace métrique, référé par des distances.
Pars: sors du ventre de ta mère, du berceau, de l’ombre portée par la maison du père et des paysages juvéniles. Le voyage des enfants, voilà le sens nu de mot grec pédagogique. Apprendre lance l’errance.
Polluer, c’est d’abord s’approprier. Pour ne plus polluer, il faut apprendre à ne plus s’approprier les choses.
Pour l’instant, les gens qui produisent des CD-Rom se trompent. Ils produisent pour vendre à qui? A un public affamé de connaissances? Ou il est riche et il n’a pas le temps, ou il a du temps et il n’a pas d’argent.
Pour la première fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l’espace et par le temps.
Pour voir le temps qu’il fait, nul n’observe plus le ciel, tous regardent la météo, à la télévision.
Quand je caresse mon amie, mes yeux magnifient son regard, mon tact habille et exalte sa peau qui glorifie la mienne. L’ego vit et vaut de créer de l’ego chez autrui qui, alors, peut le rendre au premier au décuple, en vie et en valeur.
Quand vous condamnez ceux qui vivent pour manger, vous qui dites manger pour vivre, avez-vous décidé pourquoi vous viviez?
Qui ne bouge n’apprend rien. Oui, pars, divise-toi en parts.
Rien ne donne plus le sens que de changer de sens.
Rien ne se construit, ne se fait, ne s’invente, sinon dans la paix relative, dans une petite poche de paix locale rare maintenue au milieu de la dévastation universelle produite par la guerre perpétuelle.
Rien ne vaut la puissance de l’entraînement.
Seul l’exercice de l’altérité permet de devenir maître de sa propre vie.
Supposé qu’Euclide et ses prédécesseurs aient considéré le triangle comme une moitié de carré ou, mieux, d’un parallélogramme: ils auraient été immédiatement conduits au vecteur, c’est-à-dire à la structure de l’espace comme espace vectoriel.
Tintin, c’est le Jules Verne des sciences humaines. L’Oreille cassée commence dans le musée ethnographique, il a des amis chinois ou sud-américains… Son oeuvre est concomitante des débuts et des développements de l’anthropologie.
Tout est organisé autour du conflit, c’est certain! Cela suscite des passions, mais cela se réduit à du spectacle, sans jamais résoudre aucune question.
Tout le mal du monde vient-il de l’appartenance ? Sans doute. Tout le mal du monde vient de ces limites, de ces frontières fermées, en?n des comparaisons et des rivalités qu’elles suscitent.
Un certain désordre favorise la synthèse.
Un chercheur est celui qui risque sa vérité et qui se casse la figure.
Un écrivain n’a besoin dans sa bibliothèque, d’aucun autre livre que ces deux là, bon usage et dictionnaire.
Un philosophe doit aussi enseigner, pas seulement de la philosophie, mais aussi du savoir.
Une vie d’expériences fraie le passage, court ou long, stérile ou fructueux, du néant à la mort, en transitant par la joie, indéfiniment dilatée.

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