CATHÉDRALES DE FRANCE : de la période principale d’édification (1180-1240) à nos jours

Entre 1180 et 1240, soit en seulement 60 ans, la construction des cathédrales va s’engager sur tout le territoire français. Besoin impérieux, désir irrésistible, elle va mobiliser d’énormes ressources et des milliers d’artisans et d’artistes. Huit cents cinquante ans plus tard, ces édifices monumentaux construits au Moyen Âge suscitent autant d’ admiration que d’incrédulité face à une telle prouesse technique et artistique.

Qu’est ce qu’une cathédrale ?

Une cathédrale est une église où se trouve le siège de l’évêque ayant la charge d’un diocèse. À l’origine, le diocèse était une circonscription territoriale de l’Empire romain conçue sous Dioclétien à la fin du IIIe siècle. Adopté par l’Église catholique, le terme de diocèse va désigner le territoire canonique d’un évêché (la plus petite communauté qui pouvant être appelée «?Église?» dans la tradition catholique), placé sous la responsabilité d’un évêque. Il en existait environ 130 au Moyen Âge, contre 93 aujourd’hui.

La période critique d’édification (1180-1240)

Jusqu’à la fin du XIIe siècle, les églises abbatiales, telle l’abbaye de Cluny, étaient des constructions beaucoup plus imposantes que les cathédrales. Les abbés qui dirigeaient ces grands établissements religieux du XIe siècle étaient plus influents que les évêques. Protégés par les papes, détenant des privilèges proches de ceux des seigneurs féodaux, ces établissements étaient dotés d’une fondation, d’un prieuré et d’une église.  Ils participaient activement à l’éducation de la jeunesse et aux décisions politiques.

Le regroupement des populations civiles dans des communes va infléchir le pouvoir de cette féodalité monastique et séculière. Appuyés par la monarchie, les évêques vont reconquérir le pouvoir au sein de l’Église, détenu jusque là par les établissements religieux.

Durant la seconde moitié du XIIe et la moitié du XIIIe siècle (1180-1240), l’épiscopat revigoré va s’engager dans une reconstruction d’ampleur de ses cathédrales pour assoir sa position et accueillir un nombre toujours croissant de fidèles.

L’appui fort des rois Philippe-Auguste, Louis VIII ou Saint Louis (notamment par la mise à disposition de terrains royaux dans le centre des villes), la bonne santé de l’économie et des finances royales vont favoriser leur entreprise. Ils vont pouvoir également compter sur le concours actif des populations unies par la foi et un désir d’unité et de constitution civile.

Les cathédrales construites à compter du XIè, XIIè et XIIIè siècle

Notre-Dame de Verdun (990), Notre-Dame de Strasbourg (1015), Saint-Maurice de Vienne (1030), Saint-Julien du Mans (1060), Saint-Étienne de Toulouse (1071), Saint-Vincent de Viviers (XII°s.), Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence (XII°s.), Saint-Pierre d’Angoulême (1110), Saint-Lazare d’Autun (1120), Notre-Dame d’Évreux (1126), Saint-Jean de Besançon (1127), Notre-Dame de Chartres (1134), Saint-Étienne de Sens (1135), Basilique Saint-Denis (1140), Saint-Mammès de Langres (1140), Notre-Dame de Noyon (1145), Saint-Vincent de Saint-Malo (1146), Notre-Dame de Cambrai (1148), Notre-Dame de Laon (1150), Saint-Maurice d’Angers (1150), Saint-Pierre de Poitiers (1162), Notre-Dame de Paris (1163), Saint-Étienne de Meaux (1175), Saint-Gervais-et-Saint-Protais de Soissons (1176), Primatiale Saint-Jean de Lyon (1180), Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand (1185), Saint-Étienne de Bourges (1195), Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes (1200), Saint-Samson de Dol-de-Bretagne (1203), Notre-Dame de Rouen (1204), Notre-Dame de Sées (1210), Notre-Dame de Reims (1211), Saint-Étienne d’Auxerre (1215), Saint-Étienne de Toul (1215-20), Notre-Dame d’Amiens (1220), Notre-Dame de Coutances (1220), Saint-Étienne de Metz (1220), Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Nevers (1224), Saint-Pierre de Beauvais (1225), Notre-Dame de Bayeux (1230), Notre-Dame de Bayeux (1230), Saint-Gatien de Tours (1236), Saint-Corentin de Quimper (1239), Saint-Michel de Carcassonne (1247), Notre-Dame-de-l’Assomption de Clermont-Ferrand (1248), Saint-Étienne de Châlons (1260), Notre-Dame de Saint-Omer (1263), Saint-Nazaire de Carcassonne (1269), Saint-Just-et-Saint-Pasteur de Narbonne (1272), Notre-Dame de Rodez (1277), Sainte-Cécile d’Albi (1282)

Le financement des cathédrales au Moyen Age

Leur construction va être financée pour l’essentiel par les revenus du diocèse (quêtes et rentes de location des domaines). À cette époque, les congrégations et les chapitres possédaient des terrains considérables, qui, une fois défrichés, assainis étaient remis en affermage. On dira plus tard que  les cathédrales étaient «?les filles des moissons?». Pour compléter les revenus fonciers, les évêques faisaient le commerce des indulgences accordées par le pape. Ces rémissions totales ou partielles devant Dieu de la peine temporelle encourue en raison d’un péché s’obtenaient grâce à l’accomplissement d’un acte de piété (pèlerinage, prière, mortification) ou d’un don. Elles deviendront avec le temps un commerce lucratif. Des tournées de reliques étaient également organisées dans les campagnes pour solliciter les dons. Par ailleurs, l’Église aidait les personnes âgées et les malades (par exemple à l’Hôtel-Dieu), le système hospitalier n’existant pas encore. Elles obtenait souvent le bénéfice des testaments.

Redevance importante, en nature (jusqu’à 10% des récoltes) ou en argent, portant sur les revenus agricoles, la dîme, au Moyen Âge, était destinée à permettre l’exercice du culte par l’entretien du clergé et des lieux de culte, et à fournir assistance aux pauvres.

Les bourgeois contribuaient parfois au financement des cathédrales comme à Albi et à Meaux. Les corporations achetaient les bonnes grâces de l’évêque en finançant des chapelles, des vitraux ou des tableaux. Au Mans, les drapiers, les changeurs, les fourreurs, les boulangers et les vignerons finançaient des chapelles dédiées à leurs saints patrons. En contrepartie, les corporations pouvaient utiliser la cathédrale ou des chapelles pour tenir leurs réunions ou leurs conférences. À cette époque, la cathédrale n’était pas seulement un lieu de culte et de recueillement, mais également la maison du peuple. On y mangeait, buvait, venait avec son chien, et on y parlait tout haut. Les municipalités y tenaient réunion, avant de se faire construire des «?hôtels de ville?».

La tradition des dons se poursuivit au-delà des grands chantiers. À Paris, les orfèvres firent des dons chaque 1er mai à partir de 1449 (dont les grands Mays de 1630 à 1707).

La durée d’édification des cathédrales au Moyen Age

Le chantier d’une cathédrale était mené rapidement si l’économie était prospère et les partenaires ecclésiastiques et laïques en phase. Les troubles, les guerres, les maladies (en particulier la peste) et les croisades, ôtaient à chaque fois de la main-d’œuvre et des financements, et allongeaient de ce fait le temps de construction.

50 % des cathédrales furent néanmoins terminées en moins de 50 ans. Quelques chantiers furent très longs : 87 ans à Paris, 100 ans à Angers, 120 ans à Bourges, 200 ans à Lyon, 269 ans à Toul, 318 ans à Metz et 420 ans à Troyes… Une cathédrale était dite terminée lorsque les nefs étaient couvertes, sans attendre que les tours soient relevées, ou décorées. Les travaux de décoration ou de rénovation s’y poursuivaient en permanence.

Lorsque les moyens de financement manquaient, les chantiers s’étalaient sur des décennies. Chaque nouvel architecte ou artisan appliquant les méthodes en cours et le style de son époque, les styles se multipliaient sur un même édifice.

Le style gothique, style dominant des cathédrales du XIIè et XIIIè siècle

À quelques exceptions près (cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, cathédrale Notre-Dame-de-Nazareth d’Orange, cathédrale Saint-Front de Périgueux, cathédrale de Vaison-la-Romaine…),  les cathédrales romanes ont été progressivement remplacées au XIIe siècle par des cathédrales gothiques.

Ce style architectural d’origine française s’est développé en Île-de-France et en Haute-Picardie au XIIè siècle sous la dénomination d’opus Francigenum ou «?mise en œuvre française?». Les tout premiers édifices «?protogothiques?» sont nés dans la région francilienne remplaçant des monuments paléochrétiens aux murs fins, charpentés et percés de nombreuses baies.

L’avènement des Capétiens et la consolidation de l’État au fur et à mesure de l’annexion des fiefs féodaux, imposèrent comme symbole du pouvoir royal le renouvellement de ces édifices. À la frontière de régions dynamiques sur le plan architectural que ce soit la Bourgogne (arc brisé inventé à l’abbaye de Cluny, arcs-boutants inventés à Cluny et Vézelay), le monde anglo-normand (la voûte sur croisée d’ogive de la cathédrale de Durham ou de l’abbaye de Lessay) la Picardie et l’Île-de-France voient les premiers maîtres gothiques synthétiser toutes ces influences.

Le style gothique se diffusa ensuite au nord puis au sud de la Loire et en Europe jusqu’au milieu du XVIIè siècle. L’architecture gothique, l’un des plus grands accomplissements artistiques du Moyen Âge, est de fait une évolution de l’architecture romane.

La forme des piles, la décoration des chapiteaux, la proportion des niveaux (grandes arcades, triforium, fenêtres hautes) constituent l’esthétique de l’architecture gothique fondée sur :

  • une volonté de hauteur (cathédrale Saint-Pierre de Beauvais)?;
  • une recherche de la verticalité (cathédrale Notre-Dame d’Amiens)?;
  • une alternance des vides et des pleins (cathédrale Notre-Dame de Laon)?;
  • une fusion de l’espace (cathédrale Saint-Étienne de Bourges)?;
  • une multiplication des jeux de lumières et de couleurs (cathédrale Notre-Dame de Chartres)
  • une volonté d’accueillir le plus grand nombre de fidèles (les deux tiers de l’église gothique sont désormais réservés aux laïcs). 

L’essoufflement du mouvement d’édification des cathédrales après 1240

L’alliance du clergé avec la monarchie inquiétant les barons, la noblesse de France et le roi vont se réunir en 1235 à Saint-Denis pour limiter la puissance des tribunaux ecclésiastiques. En 1246, les barons vont s’unir pour soutenir tout seigneur vexé par le clergé. Le roi va à son tour contenir les prétentions du clergé et faire prévaloir l’autorité monarchique sur la féodalité.

Le rythme des constructions va progressivement se ralentir, les édifices commencés achevés à la hâte, ceux de grande ampleur réduits. Les réserves des évêques épuisées en rachat d’immeubles autour des anciennes cathédrales ou pour amorcer l’édification de l’église, les projets vont s’arrêter ou fortement ralentir. Rares sont les cathédrales qui seront achevées telles que projetées. À la mort de Philippe-Auguste, en 1223, les diocèses bâtisseurs entrent dans le domaine royal. Un grand nombre de cathédrales sont très avancées même si elles sont inachevées.

Les diocèses politiquement unis au domaine royal vont voir leurs cathédrales s’élever rapidement sur des plans nouveaux (Reims, Châlons, Troyes). En Bourgogne, les diocèses les plus rapprochés du domaine royal (Auxerre, Nevers) reconstruisent leurs cathédrales?alors que ceux d’Autun et de Langres, plus éloignés, conservent leurs anciennes églises élevées au milieu du XIIè siècle. En Guyenne, restée anglaise, excepté Bordeaux qui tente un effort vers 1225, Périgueux, Angoulême, Limoges, Tulle, Cahors, Agen gardent leurs vieux monuments.

En dehors du domaine royal, le mouvement d’édification n’existe plus. C’est à la fin du XIIIe siècle que certains diocèses remplaceront leurs vieux monuments par des constructions neuves élevées sur des plans royaux. Mais ce mouvement limité s’arrêtera au XIVè siècle. À la mort de Philippe le Bel, en 1314, le domaine royal s’est étendu (Champagne, Languedoc, Provence, Auvergne et  Bourgogne) mais l’élan formidable du XIIè et du XIIIè siècle est épuisé. Les cathédrales dont la reconstruction n’a pas été commencée pendant le XIIIè siècle restent à l’identique?; celles inachevées se terminent difficilement.

Le mouvement d’édification très ralenti voit l’utilisation de styles différents : cathédrale Saint-Pierre de Rennes (1490), cathédrale Sainte-Marie d’Auch (1489).

Certaines cathédrales inachevées au Moyen Âge voient leurs travaux reprendre au XVIè siècle (cathédrale Saint-Pierre de Beauvais, cathédrale Notre-Dame d’Évreux, cathédrale Saint-Maclou de Pontoise et cathédrale Notre-Dame du Havre en style Renaissance).

La construction d’un certain nombre de cathédrales fut néanmoins entreprise après la Révocation de l’édit de Nantes, en 1685, pour affirmer la présence catholique en terre protestante (La Rochelle et Montauban). D’autres constructions sont engagées pour remplacer un édifice ruiné (Rennes, Dax ou Langres pour la façade). La création du diocèse de Nancy, en 1777 fit de la primatiale de Lorraine la cathédrale de Nancy. Les cathédrales d’Arras et de Cambrai sont également dues à la destruction des anciennes cathédrales vendues comme biens nationaux à la Révolution française.

Quelques cathédrales furent reconstruites au cours du XIXe siècle (cathédrale de Boulogne-sur-Mer en style néoclassique, cathédrale de Belley, cathédrale de Gap ou  cathédrale de Lille en style néogothique, cathédrale Sainte-Marie-Majeure de Marseille, en style néo-byzantin).

La Cathédrale Saint-Charles-Borromée de Saint-Étienne de style néogothique a été construite de 1912 à 1923.Dans les années 1960, la création de nouveaux diocèses dans la région parisienne a entraîné l’élévation au rang de cathédrale des édifices construits dans l’entre-deux-guerres comme la cathédrale de Nanterre.

A la toute fin du XXè siècle (cathédrale d’Evry) et au début du XXIè siècle (cathédrale de Créteil), deux cathédrales seront construites d’ampleur modeste par rapport à leurs grandes ancêtres.

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