ANGLAIS : UNE LANGUE FORTEMENT INFLUENCÉE PAR LE FRANÇAIS

Georges Clemenceau disait en un raccourci saisissant et provocateur : « L’anglais ? Ce n’est jamais que du français mal prononcé. » Il est vrai que deux tiers du vocabulaire anglais actuel sont d’origine française (contre 4% du lexique français d’origine anglaise !). La conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant au XIe siècle va marquer le début de l’apport massif du français à l’anglais, et ce, durant cinq siècles; que ce soit dans la syntaxe, la grammaire, le lexique, l’orthographe ou la prononciation.

Historique de l’apport du français à l’anglais

Au début du XIe siècle, différents dialectes coexistaient en Bretagne insulaire dite « Grande-Bretagne » :

  • les parlers celtiques dans l’ouest et le nord de l’île (Pays de Galles, Cornouailles, Écosse) et en Irlande?;
  • les dialectes germaniques issus de l’installation de peuples d’origine germanique (Saxons, Angles et Jutes) dans le sud et l’est?;
  • le dialecte d’origine germanique des Vikings venus de Scandinavie.

Suite à sa victoire à la bataille d’Hastings en 1066, Guillaume II de Normandie ou Guillaume le Conquérant fut couronné roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume Ier d’Angleterre.

À partir de cette date, le normand et le français vont fortement imprégner l’anglais;  l’apport de l’anglais au français n’intervenant qu’à compter du XVIIIe siècle.

Supplantés par le normand dans les milieux de la cour et de l’aristocratie, de la justice et de l’Église, les dialectes anglo-saxons ne seront alors plus être parlés que par les couches rurales et urbaines modestes.

Variante du gallo-roman, langue d’oïl au même titre que le picard ou le wallon, le normand va peu à peu intégrer des mots et tournures issus de l’anglais pour donner naissance à l’anglo-normand. Au XIe siècle, l’anglo-normand devint la langue vernaculaire (langue locale communément parlée) sur le sol anglais dans le domaine de la littérature, de la culture, à la cour et au sein du clergé.

Au XIIe siècle, le français continental disposait d’un grand prestige en Angleterre dans les milieux aristocratiques. Les nombreux mariages royaux, les rois d’Angleterre épousant fréquemment des princesses venues de France (Henri II Plantagenêt et Aliénor d’Aquitaine au début du XIIe siècle jusqu’à Henri VI et Marguerite au XVe siècle), vont favoriser l’expansion de la langue française en Angleterre. Langue de culture, le français supplanta le latin à partir du XIIIe siècle comme langue de la diplomatie et des relations mondaines dans toute l’Europe. Langue de la cour d’Angleterre du XIIe siècle jusqu’au XVe siècle, le français imprégna massivement le lexique anglais.

Durant la guerre de Cent Ans (1337-1453), le français, « langue de l’ennemi », va être mis de côté, permettant à l’anglais de se diffuser largement, de devenir la langue d’enseignement et la langue maternelle des rois. Henri V (1387-1422), vainqueur de la bataille d’Azincourt en 1415,  fut le premier roi d’Angleterre à utiliser l’anglais dans les documents officiels.

L’anglais, langue germanique fortement imprégnée de français dans la prononciation, le vocabulaire ainsi que dans la grammaire et l’orthographe, devint la langue vernaculaire de la Grande Bretagne. En trois siècles de coexistence, le français a néanmoins alimenté les deux tiers du lexique anglais.

Après la Révolution française, le modèle anglais va devenir peu à peu la référence dans l’Europe entière, le français restant la langue diplomatique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’influence anglo-américaine va se faire sentir sur le français dans les domaines des sciences, de l’économie et de la technologie.

Du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, l’anglais n’empruntera plus au français que des mots des domaines de la cuisine, de la mode, de la peinture ou de la danse.

L’apport du français au lexique anglais

L’influence massive de l’ancien français sur l’anglais recouvre différentes formes, en particulier:

  • Certains mots anglais issus de l’ancien français ont gardé des traces disparues en français moderne (ex : hospital-hôpital), n’existent plus en français moderne (ex : soulace-solace) ou ont développé un sens différent de celui en français moderne (faux-amis). Ce qui explique qu’un étudiant anglais est souvent bien plus à l’aise avec l’ancien français qu’un étudiant français !
  • Certains mots anglais sont composés d’un mot d’origine germanique et française.
  • Certains anglicismes sont en réalité des mots empruntés à l’ancien français et réempruntés récemment à l’anglais (ex : bacon) !

Quelques exemples de mots anglais issus de mots de l’ancien français :

Achieve (accomplir, réaliser) vient d' »achever » (venir à bout de,  accomplir une tâche) – XIIIe siècle
Affair (affaire ou liaison amoureuse) : de « à faire » – XIIIe siècle
Aperitif (apéritif) , XVIe siècle
Assizes (assises) : de « assises« , XIIIe siècle
Aunt (tante) : de « ante » (tante), XIIe siècle
Bacon : de « bacon » (viande de porc , flèche de lard salé), début XIIe siècle
Bargain (marchander) : de « bargaignier » (hésiter), XIVe siècle
Beef (viande de bœuf) : de « buef ou bœuf« , XIIIe siècle
Blanket (couverture) : de « blanquette« (couverture de drap blanc), XIIIe siècle
Bourgeois : de « bourgeois« , XVIIe siècle
Budget : de « bougette » (petite poche en tissu abritant lettres de change et monnaie).
Butler (majordome, maître d’hôtel) : de « bouteleur » ou de « bouteiller » (sommelier), XIVe siècle
Cabbage (choux) : de « caboche« (tête) en normano-picard, XIe siècle-XIIe siècle
Canvas (toile) : de « canevas » en normand, XIe siècle-XIIe siècle
Carrot (carotte) : XVIe siècle
Catch (attraper) : de l’ancien normand « cachier » (chasser), XIe siècle-XIIe siècle
Caterer (approvisionneur) : de l’ancien normand « acatour » (acheteur), XIe siècle-XIIe siècle
Cattle (bétail) : de l’anglo-normand « catel » (propriété), XIIe siècle-XIIIe siècle
Chair (chaise) : de « chaiere« , XIIIe siècle
Challenge (défi) : de « chalenge« , XIIIe siècle
Chamber (chambre) : de « chambre« , XIIIe siècle
Change (changer) : de « changier« , XIIIe siècle
Chapel (chapelle) : de « chapele« , XIIIe siècle
Choice (choix) : de « chois« , XIIIe siècle
Closet (placard ou cabinet) : de « closet« (petit enclos), XIVe siècle
Conceal (cacher) : de « conceler« (cacher), XIIe siècle-XIIIe siècle
Curtain (rideau) : de « cortine » (rideau de lit), XIIIe siècle
Cushion (coussin) : de « coissin« , XIVe siècle
Custard (crème épaisse) : de « crouste« , (croûte), XIIe siècle-XIIIe siècle
Custom (coutume) : de « custume« , XIIe siècle-XIIIe siècle
Debt (dette) : de « det« , XIIIe siècle
Eager (désireux de) : de « egre« , (aigre), XIIe siècle-XIIIe siècle
Faint (faible) : de « feint » (mou, sans ardeur), XIIe siècle-XIIIe siècle
Flirt, de « conter fleurette« 
Foreign (étranger) : de « forain« , (l’étranger), XIIe siècle-XIIIe siècle
Franchise (franchise) : de « franchise« , XIIIe siècle
Grape (raisin) : de « grape » (grappe de raisin), XIIIe siècle
Grief (chagrin) : de « grief » (chagrin), XIIe siècle-XIIIe siècle
Heir (héritier) : de « heir« , XIIIe siècle
Kennel (chenil) : de l’anglo-normand « kenil« (chien), XIIe siècle-XIIIe siècle
Marriage (mariage) : de « mariage » (les biens des époux), XIIIe siècle
Mischief (malice, méchanceté) : de « meschef« , (infortune), XIIIe siècle
Mustard (moutarde) : de « moustarde » (condiment fait à partir de graines mêlées à du moût de raisin), XIIIe siècle
Mutton (viande de mouton) : de « moton » (mouton), fin XIIIe siècle
Pantry(garde-manger) : de « paneterie » (lieu où l’on range le pain), XIIIe siècle
Parliament (parlement) : de « parlement » (conversation), XIIIe siècle
Pay (payer) : de « paier« (apaiser), XIIe siècle
Poultry (viande de volaille) : de « pouletrie » (volaille), fin XIVe siècle
Proud (fier) : de « prud » (vaillant), début XIIe siècle
Purchase (acheter) : de « prochacier« (chercher à obtenir), XIIe siècle-XIIIe siècle
Rental (loyer) : de « rental« (soumis à une redevance annuelle), XIIe siècle-XIIIe siècle
Scorn (mépris) : de « escorner » (insulter), XIIe siècle-XIIIe siècle
Solace (consolation) : de « soulace » (réjouissance) , XIIe siècle-XIIIe siècle
Square (carré) : de « esquarre » (équerre), XIIe siècle-XIIIe siècle
Squire (propriétaire terrien) : de « escuier » (celui qui porte l’écu, le bouclier), XIIe siècle-XIIIe siècle
Strive (s’efforcer) : de « estriver » (faire des efforts), XIIe siècle-XIIIe siècle
Summon (convoquer) : de « semondre« (inviter à faire quelque chose), XIIIe siècle
Toast (tartine grillée) : du verbe « toster » (griller, rôtir) XIIe siècle-XIIIe siècle
Towel (serviette) : de « toailler » (serviette), XIIIe siècle
Veal (viande de veau) : de « vel« , (veau), fin XIVe siècle
Very (très) : de « veray« , (vrai), XIIe siècle-XIIIe siècle

« L’anglais ? Ce n’est jamais que du français mal prononcé. »

Clémenceau

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