Avec une capitalisation deux fois plus importante que celle des dix premiers groupes européens de télévision réunis ou que Disney, Netflix est devenu un mastodonte de la diffusion-production de contenus audiovisuels.
Retour sur une success-story basée sur la différenciation, l’innovation permanente et la digitalisation.
Fondée en 1997 par Reed Hastings (diplômé en intelligence artificielle de l’université de Stanford) et Marc Randolph, Netflix débute ses activités par le lancement d’un service en ligne de location de DVD. Elle va multiplier les innovations de rupture :
- remplacement des cassettes VHS par les DVD;
- système de location vidéo en ligne se passant de magasins;
- remplacement de la distribution physique par le streaming (sur ce point, Netflix attendra 2007 que le haut débit et les technologies de streaming soient développés);
- service d’abonnement audiovisuel diffusé sur Internet à un prix très abordable;
- système de notation et de recommandation (dès 2006 «Cinematch» suggère des locations en fonction de l’historique des DVD loués et des films disponibles) qui intégrera par la suite une multitude d’algorithmes basés sur le machine learning («Personalized video ranker», «top video ranker», vidéo similaires, «?continue watching?»…);
- système ultra performant de transcodage des vidéos;
- recours aux services de cloud d’Amazon et installation de serveurs chez les fournisseurs d’accès;
- stratégie mondiale et multidomestique utilisant le Big data pour définir l’offre de contenus (identification de communautés partageant les mêmes goûts, quel que soit le pays);
- production à grande échelle de plus en plus diversifiée (séries, longs métrages, talk-shows…) de contenus à la fois globaux et locaux.
- nouvelles sources de revenus comme les produits dérivés et de potentiels expérimentations futures comme des sorties en salle, des podcasts et des jeux vidéo.
Courant 2017, le nombre d’abonnés Netflix a dépassé celui des télévisions par câble (125 millions d’abonnés). Il était fin septembre 2021 de 214 millions d’abonnés.
Selon Netflix «le divertissement sur Internet, à la demande, personnalisé et disponible sur n’importe quel écran est en train de remplacer la télévision traditionnelle».
Il est vrai que Netflix a bâti sa position de leader de la SVOD (vidéo en streaming à la demande) autour de la meilleure expérience client digitale possible :
- une qualité technique irréprochable (fiabilité, haute qualité d’image, catalogue très fourni, bande passante nécessaire réduite…);
- un catalogue riche original, exclusif et glocal (global et local);
- une connaissance client approfondie permettant de coller à ses attentes (suggestions personnalisées…);
- un abonnement très abordable sans engagement.
Par ailleurs, la communication est très étudiée. Les contenus sont diffusés par saison et non par épisode. Ce qui suscite une forte attente, une grande viralité sur les réseaux sociaux et une forte dépendance pouvant aller jusqu’au «binge watching» (regarder des épisodes à la suite jusqu’à l’indigestion).
Quels sont les risques de cette stratégie de course à la taille??
- des besoins de financement toujours plus colossaux : En 2020, Netflix a réalisé un bénéfice de 2,8 milliards $, 1,9 milliard $ de free cash flow, pour un chiffre d’affaires de 25 milliards $. Pour assumer ses investissements massifs dans les contenus en 2021 (17 milliards $), Netflix va devoir s’endetter. Ses besoins en cash vont augmenter en 2021. Un cercle vicieux «endettement – course à la croissance» va se poursuivre.
- la concurrence s’organise : les majors commencent à retirer leurs contenus de la plateforme Netflix et constituer leur propre service (Disney +, avec son catalogue et celui de Pixar, Discovery et ses documentaires, qui compte fin 2020 plus de 115 millions d’abonnés). Les nouveaux opérateurs de SVOD tels qu’Amazon Prime (200 millions abonnés), Spotify (172 millions abonnés dans la musique et partenaire d’Hulu) ou Hulu (40 millions abonnés joint ventre OTT réunissant Disney, Comcast, ATT) adoptent la même stratégie agressive de production de contenus créant une véritable inflation auprès des producteurs (Oprah Winfrey avec Apple,…).
- l’anticonformisme et l’originalité de la politique éditoriale vont-ils se normaliser avec la taille, se traduire par une diminution de l’expérience utilisateur et une érosion de sa base client?
Le pari long terme de Netflix est que la croissance de ses abonnés associée à des hausses de prix fera décupler les bénéfices, permettant de faire face aux besoins de financement.
Netflix estime que son marché adressable d’abonnés est de 800 millions. Certains analystes pensent que Netflix pourrait atteindre 360 millions en 2030…
Netflix est devenu un géant de l’audiovisuel grâce à son art du positionnement à contre-courant. L’adoption d’un business modèle disruptif est impossible à adopter par la concurrence au risque d’accélérer leur perte.
Netflix a fait entrer l’industrie audiovisuelle dans l’ère du numérique (big data, IA, cloud,…). Il est le game changer et le leader de son marché.
Netflix est devenu un membre à part entière du FAANG (Facebook, Apple, Amazon Netflix, Google), ces entreprises technologiques à rayonnement mondial, du fait de son empreinte internationale, sa technologie et sa valorisation boursière (150 fois l’EBITDA contre 15 pour Discovery, Viacom, Lionsgate ou Disney).
Reed Hastings reconnait pourtant que Netflix est plus une entreprise de médias que de technologie pure (Netflix investira 17 milliards $ pour le contenu et 2,5 dans la technologie en 2021)…
« Les entreprises meurent rarement d’aller trop vite, et elles meurent souvent d’avancer trop lentement. »
R Hastings