Dans une économie en voie de digitalisation censée supprimer les tâches les plus pénibles et mettre l’accent sur la bienveillance et la collaboration, les maladies psychiques liées au travail se multiplient. Des acronymes en « B…out » apparaissent régulièrement reflétant de nouveaux cas types de souffrance au travail. Non reconnues officiellement, les pathologies liées au travail ont pourtant des conséquences psychosociales et économiques désastreuses (démotivation, absentéisme, maladies longues…).
De quoi s’agit-il?
Les maladies psychiques liées au travail se manifestent par un mal-être, un cynisme professionnel ou un épuisement général, physique et mental.
Quelles en sont les causes?
Même si des facteurs individuels interviennent (instabilité émotionnelle, degré de conscience professionnelle, implication personnelle au travail), ces maladies psychiques sont imputables à :
- L’organisation du travail (délais, tâches et objectifs flous, surcharge de tâches, intensification des horaires, interruptions permanentes);
- Au management et aux relations de travail exécrables (peu de solidarité, peu d’espaces de discussion, violence morale, manque de reconnaissance du travail effectué, manque d’encadrement de proximité ou sous-utilisation des capacités);
- au manque d’autonomie (rythme de travail, sous-utilisation des compétences des salariés, collaborateur livré à lui-même);
- à une perte ou l’absence de sens (impression de faire un travail inutile);
- à une insécurité de la situation de travail (précarité, insécurité socio-économique, changement de qualification ou de métier sans y être préparé).
Très souvent ces facteurs délétères se cumulent, sont permanents ou se manifestent à différents moments de la vie de l’entreprise.
Quelles sont les grandes pathologies liées au travail?
Le burn-out ou « syndrome d’épuisement professionnel » résulte d’une surcharge importante d’activité poussant le collaborateur à sacrifier sa santé. En incapacité totale ou partielle d’accomplir son travail, il se sent vidé et n’arrive plus à décrocher de son travail. Incapable de demander de l’aide de peur d’être déconsidéré, il est sujet à angoisses, stress et dépression.
Le bore-out se produit à l’inverse dans le cas d’une sous-charge d’activité ou de responsabilités à la suite par exemple d’une placardisation. Désoeuvré, se sentant sous-employé, inutile du fait du manque d’occupation, le collaborateur se dirige vers un désengagement professionnel, un épuisement moral et une perte d’estime de soi.
Le brown-out se produit lorsque le collaborateur est confronté à une perte de sens dans son métier, à des tâches rébarbatives absurdes en négation avec ses compétences. Cela arrive lorsque ses valeurs ne sont pas en phase avec celles de l’entreprise. Perdant de son envie de travailler par manque de finalité dans son travail, il est sujet à démotivation et des états dépressifs. Le développement de « bullshit jobs » ou vides de sens décrits par l’anthropologue Graeber serait lié à la complexification de l’économie, à la course à l’emploi et à l’empilement d’intermédiaires dans une organisation très verticale du travail. Il toucherait une proportion importante de jeunes millennials.
L’incompatibilité entre la quête de sens des Millennials et la réalité du marché du travail (lutte sans merci pour n’importe quel travail alimentaire) qui favorise cette épidémie de brown-out et de dépressions professionnelles
Le blur out ou blurring désigne quant à lui la confusion entre la vie professionnelle et privéeliée au développement du travail indépendant , à distance, permis par les nouvelles technologies numériques.
Comment les diagnostiquer?
Des tests existent pour détecter ces maladies, en particulier:
- Le questionnaire CBI (Compenhague Burn Out Inventory) : 19 questions à choix multiples portant sur l’épuisement professionnel, personnel et relationnel,
- Le test de Maslach : 22 questions à choix multiples avec 3 grands axes à l’épuisement, la dépersonnalisation, et l’accomplissement professionnel.
Quelle reconnaissance par la loi?
En dehors du burn-out à la condition d’obéir à une procédure spéciale, les pathologies psychiques professionnelles ne sont pas reconnues comme maladies professionnelles.
Le burn-out ayant reçu une définition médicale, il peut faire l’objet d’une évaluation par un comité régional. Même si c’est une maladie « hors tableau », d’après le code de la Sécurité Sociale, il faut réunir deux conditions : la pathologie doit être essentiellement et directement causée par le travail, et a entrainé une incapacité permanente partielle (IPP) égale ou supérieure à 25%.
Pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des collaborateurs, les RPS (risques psycho-sociaux) ont été définis par le Ministère du Travail comme des risques pour la santé physique et mentale des collaborateurs dus aux conditions d’emploi, aux facteurs liés à l’organisation du travail et aux relations de travail.
Même si cela n’est pas toujours le cas dans la pratique, l’employeur doit mettre en place des dispositions de mesures :
- de prévention des risques professionnels,
- d’information et de formation
Ainsi, s’agissant du bore out, la loi obligeant l’employeur à respecter les tâches et la qualification stipulées dans le contrat de travail du collaborateur, un changement de poste ou une formation adéquate peuvent s’avérer salutaires.
À qui s’adresser ?
Le médecin du travail est informé et invité à titre préventif à participer, selon ses possibilités, à la démarche de prévention des risques psychosociaux en tant que conseiller de l’employeur et des salariés.
Son rôle est exclusivement préventif: mise en place de l’évaluation des risques,
alerte de l’employeur sur une situation dégradée présentant un risque collectif pour la santé des salariés ou sur des indicateurs cliniques de détérioration de la santé.
Les délégués du personnel (DP) ont pour mission générale de représenter les salariés sur l’ensemble des dispositions du Code du travail, dont la santé et la sécurité (article L. 2313-1 du Code du travail).
Concernant les risques psychosociaux, les délégués du personnel peuvent :
- évoquer lors des réunions mensuelles les situations qu’ils entendent soumettre au chef d’entreprise,
- saisir l’employeur d’une situation d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise (article L. 2313-2 du Code du travail),
- permettre la consultation de leur registre recensant les problèmes rencontrés par les salariés durant les derniers mois.
Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) contribue à la protection de la santé et de la sécurité des salariés et à l’amélioration de leurs conditions de travail, notamment par :
- l’analyse des conditions de travail et des risques professionnels ;
- la vérification, par des inspections et des enquêtes, du respect des prescriptions législatives et réglementaires et de la mise en œuvre des mesures de prévention préconisées ;
- le développement de la prévention par des actions de sensibilisation et d’information;
- l’analyse des circonstances et des causes des accidents du travail ou des maladies professionnelles ou à caractère professionnel, par le biais d’enquêtes.
Au plus tard le 1er janvier 2020, le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le Comité hygiène-sécurité et conditions de travail vont fusionner en une seule entité appelée CSE (Comité social et économique) qui sera directement en charge de la prévention des risques psychosociaux et des conditions de travail.
À l’extérieur de l’entreprise, la consultation du médecin de famille, les consultations Souffrance et Travail et des cliniciens spécialisés peuvent s’avérer précieuses.
Avec la parcellisation des tâches entrainant démotivation et perte de sens, le champ des maladies psychiques liées au travail s’élargit de jour à jour. Une approche bienveillante se développe dans certaines entreprises pour adresser ces problématiques pénalisantes en terme de bien-être au travail, d’efficacité et d’attractivité.
Qu’en est-il des conditions de travail des freelances sortis du champ réglementaire de l’entreprise ?
Les conditions précaires, la non-appartenance à l’entreprise, la dépendance liée à la relation de sous-traitance aboutissent souvent à une dégradation des conditions de travail des indépendants. Or, au même titre que les collaborateurs de l’entreprise, la qualité et l’implication de ces derniers dépendent des conditions de collaboration (l’expérience fournisseur) avec les entreprises qui les emploient à durée déterminée et au coup par coup. Exercer des relations exécrables de domination en profitant de l’absence de protection des risques psycho-sociaux des prestataires n’est pas viable.
De fait, malgré l’ubérisation à marche forcée, le réenchantement du travail en interne ou en externe s’avère la condition sinequanone de l’engagement et de la motivation de tous les collaborateurs et, par conséquent, de la performance de l’entreprise.
Citation sur le travail :
“Ce n’est pas le travail difficile qui est monotone, c’est le travail superficiel.”
Edith Hamilton