Située sur la rive gauche de la Garonne entre Tonneins et Marmande dans le Lot et Garonne, la collégiale Saint-Vincent est l’un des édifices romans les plus remarquables de la région, classé sur la première liste des Monuments Historiques en 1840. Édifiée au XIIè siècle au cœur du bourg médiéval du Mas-d’Agenais, cette église abrite un trésor, un chef d’œuvre de Rembrandt, le « Christ en croix ».
Provenance et reconnaissance de l’auteur du chef d’œuvre
En 1804, la famille Duffour, originaire du Mas d’Agenais, partie depuis une génération à Dunkerque, aurait acheté un tableau du Christ dans une vente publique. Ne sachant qu’en faire, ne se doutant pas de la valeur de l’œuvre, elle en fit don à la paroisse du Mas d’Agenais en souvenir de ses ancêtres. Xavier Duffour, capitaine des armées impériales, l’apporta au Mas d’Agenais, emballé simplement, alors qu’il se rendait en mission en Espagne.
Comment le tableau a-t-il échoué dans une vente publique? A-t-il été donné à un seigneur ou un courtisan qui se serait ruiné ? A-t-il été volé lors des guerres napoléoniennes en Hollande ? Cela reste un mystère.
Le 9 janvier 1853, le curé du Mas d’Agenais, cherchant des fonds pour réparer l’église, confia le tableau à M. Irénée de Luppée afin qu’il soit restauré et mis en vente au Musée Impérial du Louvre. Le conservateur du Musée du Louvre attribua ce tableau à Rembrandt ou à ses disciples, même s’il ne fut pas officiellement expertisé. Une fois la restauration terminée, la question de la vente du tableau fut soulevée. Après un échange de lettres entre le curé, l’évêque d’Agen et le Préfet, il fut décidé de solliciter l’aide de l’État et des fidèles pour apurer la lourde dette de la paroisse. Le tableau réintégra sa place dans l’église du Mas d’Agenais.
Durant près d’un siècle, il séjourna, sans histoire et sans aucune protection, dans l’église. Durant la deuxième guerre mondiale, il fut retiré de l’église par le curé et emmené au presbytère. L’abbé Kelly, son successeur, retrouva le tableau caché derrière une armoire et le remit à sa place dans l’église.
En 1957, la trace du supposé Rembrandt ayant été retrouvée dans les archives du Musée du Louvre, les délégués du Ministère des Beaux-Arts se rendirent au Mas d’Agenais. Le maire de l’époque décida de le vendre, l’estimant propriété de la Commune. L’évêque s’y opposa, revendiquant ce bien de l’Église. Pour garder le tableau dans son église, l’abbé Kelly, en concertation avec le conservateur des Beaux-arts d’Agen, apporta le tableau au Musée du Louvre le 28 septembre 1959 pour expertise. Assisté d’un spécialiste de Rembrandt, l’expert diligenté par le musée du Louvre, confirma au directeur des Archives Départementales du Lot-et-Garonne, qu’il s’agissait d’un authentique Rembrandt. L’imagerie infrarouge fit en effet apparaître la signature « RH » (pour Rembrandt Harmenszoon) et la date « 1631 ». Le 9 mai 1960, l’évêque d’Agen présida à son retour et à son installation dans un coffre de sécurité, le ministre des Beaux-Arts ayant ordonné que le tableau retrouve sa place dans l’église doté d’une efficace protection.
L’évêque d’Agen cita alors les vers suivants du poète anglais Yeats : “ A thing of beauty is a joy for ever ” et ajouta : “ Quant à votre belle église, je trouve l’écrin digne du joyau ”.
Origine de l’œuvre
En 1961, ayant eu connaissance des résultats de l’expertise du tableau, un groupe d’experts allemands conduit par le Professeur Von Bauch de Fribourg se rendit au Mas d’Agenais pour expertiser à leur tour le tableau.
Après inspection, ils établirent que le tableau faisait bien partie à l’origine de la collection du Prince Frédéric Henri d’Orange Nassau de La Haye, homme politique et chef militaire, mécène du jeune Rembrandt; six autres tableaux de la même série étant conservés à la Pinacothèque de Munich.
Un mois plus tard, le professeur Von Bauch écrivit dans le Panthéon de Berlin : “ C’est une petite église dans le Sud-Ouest de la France qui possède le fleuron de notre collection ”.
Le Prince Frédéric Henri d’Orange Nassau avait commandé cette série de tableaux à Rembrandt. Le premier, le plus important, celui du Mas d’Agenais fut peint en 1631. Né à Leyde en 1606, Rembrandt avait alors 25 ans. Six tableaux, de même forme arrondie du haut et de mêmes dimensions, sont conservés à la Pinacothèque de Munich :
– L’Érection de la Croix, 1634.
– La Descente de la Croix, 1634.
– L’Ascension, 1636.
– La Mise au Tombeau, 1639.
– La Résurrection, 1639.
– L’Adoration des Bergers, 1646.
Les cinq premiers tableaux composent, avec “ le Christ en Croix” du Mas d’Agenais, la Passion, même si Rembrandt na pas suivi l’ordre chronologique de la Passion du Christ, tout au moins pour le premier tableau qui se trouve au Mas d’agenais.
En 1970, la pinacothèque de Munich a fait une offre d’achat de 30 millions de francs français (ou 4 573 470 €) qui fut refusée, le tableau n’étant pas à vendre. Le tableau fut par la suite prêté pour l’exposition du siècle de Rembrandt au Petit Palais de Paris de novembre 1970 à février 1971 et de nombreuses autres expositions en Europe.
En 1988, après une tentative de vol, le coffre en bois fut remplacé par un coffre métallique, muni d’un vitrage à l’épreuve des chocs les plus violents, le tout protégé par un système d’alarme électronique perfectionné. Un dispositif d’éclairage et de sonorisation fut installé pour permettre aux nombreux visiteurs d’admirer le trésor de la collégiale du Mas-d’Agenais avec un commentaire dans la langue souhaitée : français, néerlandais, anglais ou allemand.
De nouveau déménagé en septembre 2016 suite à un défaut dans la vitrine qui le protégeait, il a intégré provisoirement le trésor de la Cathédrale Saint-André de Bordeaux.
Après achèvement des travaux dans la collégiale du Mas d’Agenais, il est prévu qu’il regagne son écrin.
Le chef d’œuvre : le Christ en Croix (1631)- Rembrandt
Cette huile sur toile marouflée sur bois de 92,9 cm sur 72,6 cm est signée et datée par Rembrandt sous les pieds du Christ (RHL 1631).Le Christ est représenté cloué sur la Croix comme un homme qui souffre, loin des corps glorieux et impassibles du Christ traditionnels à l’époque. Le visage ne correspond plus à un archétype; il est individualisé, bouleversant. Les recherches sur l’expression des passions que mène alors Rembrandt trouvent ici un exceptionnel champ d’application, donnant naissance à un grand chef d’œuvre.