JEAN D’ORMESSON : pensées d’anthologie

La télévision est un spectacle. C’est une tribune, une scène, un journal du monde, un stade, un cirque.
La télévision est une machine à montrer ceux qui y passent et à cacher ceux qui n’y passent pas.
Les hommes ne cessent jamais d’avoir peur. Des mécanismes obscurs nous rongent de l’intérieur. Être heureux est la forme la plus subtile d’un désespoir qui n’ose pas dire son nom.
Les hommes sont un peu comme Dieu : tout ce qu’ils peuvent faire, ils le font. Ou ils le feront.
Les honneurs, je les méprise, mais je ne déteste pas forcément ce que je méprise.
Les passions de la vie, des plus hautes aux plus basses, comme l’argent par exemple, font partie de la vie.
Les traditions – comme les femmes – sont faites pour être à la fois respectées et bousculées.
N’existent que les êtres dans l’espace et le temps. Dieu n’existe pas puisqu’il est éternel.
Ne vous laissez pas abuser. Souvenez-vous de vous méfier. Et même de l’évidence : elle passe son temps à changer. Ne mettez trop haut ni les gens ni les choses. Ne les mettez pas trop bas. Non, ne les mettez pas trop bas. Montez. Renoncez à la haine : elle fait plus de mal à ceux qui l’éprouvent qu’à ceux qui en sont l’objet. Ne cherchez pas à être sage à tout prix. La folie aussi est une sagesse. Et la sagesse, une folie. Fuyez les préceptes et les donneurs de leçons. Jetez ce livre. Faites ce que vous voulez. Et ce que vous pouvez. Pleurez quand il le faut. Riez. J’ai beaucoup ri. J’ai ri du monde et des autres et de moi. Rien n’est très important. Tout est tragique. Tout ce que nous aimons mourra. Et je mourrai moi aussi. La vie est belle.
Nous autres les hommes, nous autres les femmes, nous sommes le sommet et le chef-d’œuvre de la création. Les dinosaures l’ont été aussi, il y a cent millions d’années, son chef-d’œuvre et son sommet. On les trouve maintenant, avec beaucoup de gaieté, sous la terre, dans les musées, dans des films entre Katharine Hepburn et Cary Grant. En dépit de leur pensée et malgré leur orgueil, je doute un peu que le sort lointain des hommes soit beaucoup plus enchanteur que celui des dinosaures. C’est drôle : s’il fallait parier, je parierais plutôt sur Dieu, tombé si bas dans nos sondages, que sur les hommes si contents d’eux.
Passer à la télévision est le rêve de tous les m’as-tu-vu qui, à tort ou à raison, s’imaginent avoir quelques choses à communiquer aux autres.
Peut-être la bicyclette, dans ce monde de machines, était-elle à nos yeux une héritière du cheval ?
Rien n’est plus difficile pour chacun d’entre nous que de situer ce qu’il a fait et de se situer soi-même à sa juste mesure.
Rien n’est plus proche de l’absolu qu’un amour en train de naître.
Tout change. Tout se transforme. Tout s’écroule, Tout reste toujours semblable. Nous ne cessons jamais de rouler entre le bien et le mal, du chagrin à l’espoir et de l’espoir au chagrin, du désir à l’ennui et de l’ennui au désir.
Tout le bonheur du monde est dans l’inattendu.
Tout le problème est de s’élever, de se distinguer, sans se séparer des autres hommes.
Tout secret est un miracle. Il n’y a pas, écrit Aragon, de vin plus soûl que le secret. Il n’y a pas plus grande merveille qu’à savoir sans partage. Peut-être le monde entier n’est-il qu’un grand secret. Et quand il n’y aura plus personne pour se souvenir de nous, tout ce que nous aurons fait et pensé sur cette Terre sera un secret englouti.
Toute mort est un mystère parce que toute vie est un mystère.
Très loin de l’abrutissement qui naît des grands postes et des hautes fonctions, l’ennui est cet état béni où l’esprit désoccupé aspire à faire sortir du néant quelque chose d’informe et déjà d’idéal qui n’existe pas encore.
Un livre qui passe à la télévision est un livre menacé, parce que la télévision transforme le livre en spectacle.
Une certaine légèreté demande plus d’efforts que la pesanteur, les leçons de morale, la gravité, l’ennui qui s’en dégage. Mais elle est liée aussi à une certaine grâce, au charme, au plaisir.

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